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le choix

Tante léonie

J'entrai dans la première pièce et, par la porte ouverte, vis ma tante, couchée sur le coté, qui dormait; je l'entendis ronfler légèrement. J'allais m'en aller doucement mais la musique du ronflement s'interrompit une seconde et reprit un ton plus bas, puis elle s'éveilla et tourna à demi son visage que je pus voir alors; il exprimait une sorte de terreur; elle venait évidement d'avoir un rêve affreux; elle ne pouvait me voir de la façon dont elle était placée, et je restais là ne sachant si je devais m'avancer ou me retirer; mais déjà elle semblait revenue au sentiment de la réalité et avait reconnu le mensonge des visions qui l'avaient effrayées; un sourire de joie, de pieuse reconnaissance envers Dieu qui permet que la vie soit moins cruelle que les rêves, éclaira faiblement son visage et elle murmura: "Dieu soit loué ! nous n'avons comme tracas que la fille de cuisine qui accouche. Voilà-t-il pas que je rêvais que mon pauvre Octave était ressuscité et qu'il voulait me faire faire une promenade tous les jours !"

Sa main se tendit vers son chapelet et je sortis à pas de loup de la chambre sans qu'elle ni personne eût jamais appris ce que j'avais entendu.

Marcel Proust

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