Alors que dans la vie, jhabite une bien jolie maison, vaste, ordonnée et confortable, je me retrouvais, par je ne sais quel miracle du subconscient, au milieu dune véritable masure malpropre, toute sans dessus dessous, dont les extérieurs tenaient plus du terrain vague en friche que dun jardin anglais ; de surcroît, je vivais là (allez donc savoir pourquoi) en compagnie de deux personnes que je nai pas côtoyées depuis au moins une bonne dizaine dannées ; cétait dune part la seconde femme de mon oncle dont lintelligence na jamais volé beaucoup plus haut quun nid de sauterelles, et dautre part, le frère de mon ex mari, individu dont jai toujours exécré la paresse, le désordre et le manque de goût : situation totalement insolite.
Et voilà que, au sein de notre " gentille petite cellule familiale ", nous est annoncée la visite du grand Akir Pacha. Bien que ce nom névoque absolument rien à ma mémoire, je savais à ce moment précis, quil sagissait dun personnage très important, une sorte de chef détat, peut-être un disciple du Christ ou bien encore un envoyé dAllah. Quoi quil en soit, cétait un haut dignitaire qui nous faisait linsigne honneur de visiter notre humble demeure. Moi qui suis tellement " à cheval " sur le côté accueillant de mon logis, comment faire pour redonner à ce taudis un aspect un peu plus présentable ! Je ne pouvais vraiment pas recevoir ce grand homme dans un pareil " foutoir " !
Face à ce désastre, me voici terrassée par une horrible sensation dimpuissance ; que notre hôte vienne à paraître dans semblable " porcherie " et je ne survivrais pas à une telle humiliation .
Comme toujours chez moi, cette situation désespérée me fait leffet dun électrochoc ; je suis prise dune frénésie de rangement ; mais plus je range et plus il en sort de partout : de la vaisselle cassée ou ébréchée jonche le sol, des monceaux de linge saccumulent dans les coins, une fenêtre ouvre un il béant sur des montagnes dordures éparpillées au milieu dun fouillis dherbes folles.
Je lave, je frotte, jarrache, je ratisse, jenrage devant linertie de mes deux " ostrogots " : ceux-ci, bras croisés et sourire narquois aux lèvres, me regardent travailler et samusent follement devant langoisse qui moppresse à lidée que Akir Pacha pouvait arriver dune minute à lautre et que, compte tenu de lampleur de la tâche, tout ne serait sûrement pas terminé. Tout en poursuivant mon ouvrage avec acharnement, je crie, je vocifère, je tempête après ces deux fainéants qui ne semblent pas même comprendre toutes les conséquences qui pourraient découler de leur bêtise, quand soudain il est là devant moi ! Immense, imposant, digne, drapé dans une sorte de djellaba noire, vêtement qui le rend encore plus souverain et mystérieux; je suis pétrifiée, totalement muette devant tant de grandeur et de majesté.
A présent (et comme par enchantement), mes deux compères se sont éclipsés ; je suis seule avec son Excellence Akir Pacha.
Le premier moment de stupeur passé, rassemblant mes forces, je me ressaisis : après mêtre longuement et profondément inclinée, avec un infini respect et beaucoup de cérémonial, je parviens enfin à lui tendre, tel un calice, une coupe remplie de vin. Mais lui, à ma grande surprise, sen empare avec un peu trop dempressement.
Interloquée, je lui offre néanmoins un siège que par bonheur javais réussi à débarrasser de tout ce qui, à peine quelques instants auparavant, lencombrait encore ; mais lui, dédaignant mon hospitalité et le séant tendu, avide, se précipite vers le tonneau de vin doù javais extrait le nectar (si goulûment avalé). Et le voilà qui boit directement au robinet de la barrique ! Il a chaud ! Il jette à terre ses voiles et autres turbans, il est maintenant affublé dun simple tee-shirt noir, trop grand pour lui, dépenaillé, les cheveux hirsutes, les gestes incohérents, la mine hilare!
Je suis atterrée. Mais lui, rustaud, indifférent à ma déception, poursuit ses extravagances; dégingandé, le voilà qui se met à danser ; tel Valentin le désossé, mon messie se trémousse, gesticule, se désarticule puis tout à coup, pris dans un tourbillon effréné, se transforme en une toupie qui tourne et tourne ; et soudain, se mêlant au "jus de la treille " qui coule encore du tonneau, la toupie " sempatouille " et, perdant de la vitesse, commence à entreprendre de grandes circonvolutions et pour finir, va simmobiliser dans un coin de la pièce. Curieuse et intriguée, non sans quelque réticence et répulsion je men saisis et lexamine: elle a deux gros yeux ronds, une bouche énorme qui me tire la langue ! Son altesse a perdu sa couronne, elle ne tenait quà un fil, Sa Sainteté a perdu son prestige, il nétait que vernis fragile!
Voilà, lhabit ne fait pas le moine !.
Dépitée, je lâche ma toupie ; et la voilà qui encore, me fait un magistral pied de nez !
Catherine OELHOFFEN
Vice Présidente de l'U.A.S.O, Directrice des Ecoles de Chiens-Guides
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